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Introduction d'une étude réalisée pour le Ministère de la Culture et de la Communication en 2002 :

Dernière née des industries culturelles du XX° siècle, l’industrie des jeux vidéo reste peu connue. Pourtant, parmi ces industries culturelles, c’est dans ce secteur que les entreprises françaises ont la meilleure position internationale, en comparaison par exemple avec le livre, le disque ou le cinéma. Depuis un an, le secteur connaît cependant une grave crise, singulièrement dans l’amont de la filière, le segment de la création.

1. Une industrie importante

L’industrie des jeux vidéo dans son ensemble représente un marché mondial de 18 milliards d’euros en 2001. Un tiers des foyers européens est équipé soit d’une console de jeux, soit d’un ordinateur, soit des deux. Après trente ans d’essor, la pratique des jeux vidéo concerne désormais la plupart des tranches d’âges, même si elle reste particulièrement forte chez les enfants, et notamment les garçons. Plus significatif encore, l’univers créatif des jeux vidéo, même si sa qualité est parfois contestée, a gagné ses lettres de noblesses auprès des autres industries culturelles. Alors que pendant longtemps de nombreux jeux étaient adaptés de succès cinématographiques ou de dessin animé, le phénomène inverse s’est solidement développé : Mario, Mortal Kombat, Final Fantasy, les Pokemon, Tomb Raider entre autres exemples récents, sont sortis des consoles de jeux pour gagner les grands et petits écrans.

La proximité de cette industrie avec celles des nouvelles technologies lui confère un développement heurté, marqué par des cycles liés à l’introduction de nouvelles générations de matériels. Le secteur est ainsi régulièrement l’objet d’un excès d’honneur de la part des médias, dans les phases d’essor, et d’un dédain également immérité, dans les phases de déclin. Pourtant les montagnes russes de son développement ne doivent pas cacher le socle de son développement à long terme : + 13% par an en moyenne aux Etats-Unis depuis 25 ans. Cette croissance est alimentée par des tendances durables : l’essor des loisirs à domicile, la réduction du nombre d’enfants par famille, les progrès techniques des machines et des logiciels, la baisse des coûts des composants, un environnement culturel et professionnel qui fait une place croissante aux logiciels et à la simulation.

2. Une industrie de la création

Pour un pays, une présence significative dans le secteur du jeu vidéo n’est pas qu’un objectif économique. C’est aussi un enjeu en termes d’emplois qualifiés et de vitalité culturelle.

Le secteur en effet est organisé comme une filière. En aval se trouvent des métiers d’édition et de distribution, analogues à ceux que l’on retrouve dans le disque ou la vidéo. En amont se situent les créateurs des jeux. Jusqu’au milieu de la décennie précédente, ce segment avait très peu d’autonomie juridique. La création des jeux (le développement) était très majoritairement le fait d’équipes internes aux éditeurs. Mais les spécificités, et les fragilités, de ces métiers apparaissent aujourd’hui plus nettement parce qu’ils se sont autonomisés en entreprises distinctes : les studios de développement.

Dans l’ensemble, ces studios emploient pour moitié des graphistes, des musiciens, des scénaristes (interactifs) et pour une autre moitié des informaticiens. Le processus de création d’un jeu est très semblable à celui d’un film de cinéma. Avec une double particularité :

  • il s‘agit d’œuvres interactives, dans le déroulement desquelles l’utilisateur intervient,
  • et d’autre part, les techniques ne sont pas encore stabilisées, qu’il s’agisse des outils de création ou des plateformes de consommation.

Ces deux raisons expliquent l’image du secteur : des « techniciens » qui fabriquent des « logiciels » comme le traduit la loi de 1985 qui interdit pour l’instant aux auteurs de jeux de bénéficier de la rémunération pour copie privée. Cependant, il s’agit bel et bien d’œuvres de l’esprit, dotées d’un contenu éditorial et artistique original, comme en témoignent les polémiques récurrentes sur le contenu « violent », voire parfois « raciste », dont les jeux vidéo font l’objet.

En tant qu’œuvres de création, les jeux vidéo font partie du patrimoine culturel de la nation. Ils sont susceptibles de véhiculer les valeurs culturelles du pays où ils sont élaborés, et de les propager dans les pays où ils sont consommés. A l’inverse, un pays non-producteur s’expose pour longtemps à ce que notamment ses enfants soient confrontés en permanence non seulement à des références culturelles extérieures, mais aussi à l’absence, sur ce médium, des valeurs culturelles locales.

Au-delà, bien que le secteur des créateurs de jeux n’ait qu’une taille réduite, comme d’ailleurs la plupart des segments de création des autres filières culturelles, l’emploi dans ce secteur repose sur des qualifications stratégiques. Savoir imaginer des récits interactifs, savoir les mettre en images, maîtriser des techniques d’écritures en rapide évolution sur un marché mondial très concurrentiel, est un atout à long terme pour un pays. Les techniques du jeu vidéo sont en effet de plus en plus utilisées dans d’autres secteurs, le dessin animé depuis une dizaine d’années, les effets spéciaux dans le cinéma, mais aussi la simulation industrielle, et de plus en plus dans des applications destinées aux réseaux de télécommunications.

3. La situation française : atouts et menaces

A) Un tissu industriel et humain riche et cohérent

Les entreprises françaises occupent dans le jeu vidéo une position unique dans le champ des industries culturelles. Il s’agit en effet du seul secteur de la création où nos entreprises exportent plus des trois quarts de leur production, réussissent régulièrement à éditer des succès internationaux, et sont même parvenus à racheter de prestigieuses sociétés anglo-saxonnes. Infogrames, Ubi Soft et Vivendi Universal font partie de la dizaine de grands éditeurs mondiaux présents dans le monde entier. Ces sociétés, cotées en bourse, détiennent plus du tiers de leur marché national, et réalisent plus des quatre cinquièmes de leurs ventes à l’étranger. A côté de ces trois grands leaders, le tissu industriel national contient des entreprises de taille moyenne (Microïds, Titus, Cryo) et près d’une centaine de PME.

Le point fort de l’industrie française des jeux vidéo est d’être présente dans presque tous les compartiments de la filière, à l’exception de la construction de consoles de jeu, segment industriel stratégique mais d’où l’Europe a toujours été totalement absente. A l’échelle mondiale, seuls quatre pays dans le monde ont une véritable industrie des jeux vidéo : les États-unis et le Japon, et, dans une moindre mesure, la France et la Grande-Bretagne. Ce dernier pays, bien qu’il dispose d’une position encore forte grâce à ses studios de développement et à la taille de son marché intérieur, a perdu petit à petit ses éditeurs. Les entreprises françaises, elles, sont significativement présentes dans l’édition comme dans la création, sur les consoles comme sur les micros, dans les petits jeux simples comme dans les grands jeux on-line. Cette cohérence du tissu industriel a pour corollaire un potentiel humain remarquable, qui donne souvent l’occasion à des Français d’occuper des postes de responsabilité dans des entreprises étrangères.

B) Des développeurs sans ressources et des éditeurs dépendants de la bourse.

L’hiver 2001-2002 a été particulièrement sinistre pour les entreprises françaises. Dans le segment de la création, les difficultés puis la liquidation de Kalisto, de loin la plus grande entreprise de développement avec plus de 300 collaborateurs au début 2001, a été l’événement le plus spectaculaire. Mais un développeur « historique », Lankhor, a également fermé ses portes, ainsi que des studios plus petits comme Gamesquad à Lyon, Chaman, Polygon ou In Utero à Paris. Dramaera, à Annecy, a été mise en redressement judiciaire. Chacune de ces sociétés avait été à l’origine d’un ou plusieurs succès internationaux.

Cette situation est sans précédent depuis vingt ans que le secteur existe en France. Même s’il a souvent une image de secteur de « start ups » à forte natalité et forte mortalité, la réalité est toute différente. Les grandes entreprises ont été créées il y a plus de 15 ans ; or, pendant l’hiver 2001-2002 il y a eu plus de dépôts de bilan que pendant les dix années précédentes cumulées. A terme, le succès même des éditeurs français dans leur internationalisation est sans doute la plus grande source de soucis pour les développeurs français : les éditeurs ont moins besoin d’eux, puisqu’ils disposent maintenant de studios dans le monde entier.

D’ailleurs les éditeurs, dans la même période, ont connu eux aussi de graves difficultés et ont accentué un mouvement stratégique consistant à alléger leurs équipes internes de développement, du moins en France. A l’automne, Infogrames avait ainsi réduit ses équipes d’au moins 50 personnes à Lyon, Ubi Soft avait fait de même à Montreuil dans la banlieue parisienne. Cryo, en sérieuses difficultés, avait réduit ses effectifs également, à la suite notamment des déboires de sa filiale Cryo Networks.

Dans ce contexte, la dépression boursière qui a affecté l’ensemble du secteur finit par faire peser des menaces sur l’existence même du secteur en France. Dans l’hypothèse où, à la suite de Kalisto, d’autres entreprises cotées (Cryo et Titus) connaîtraient des difficultés graves, hypothèse qui ne peut être exclue en avril 2002, on assisterait sans doute à une défiance généralisée des milieux financiers pour le secteur, en France en tout cas. Or Infogrames et Ubi Soft, que leur taille peut faire paraître comme de solides bastions, ne peuvent pas être indifférentes à leurs cours. A leur niveau de taille, le simple maintien de leur part de marché implique d’importants besoins de financement, qui à leur tour supposent des cours boursiers à peu près stables. Or Infogrames a perdu la moitié de sa valeur boursière entre juin 2001 et avril 2002, et Ubi Soft le tiers.

4. Diagnostic et possibilités d’action

A) Un secteur mieux organisé

Les studios de développement doivent d’abord s’aider eux-mêmes, en s’organisant mieux. C’est ce qu’ils ont commencé à faire en 2002 en se regroupant au sein d’un organisme professionnel, l’Association des Producteurs d’œuvres Multimédia (APOM). Le but de cet organisme est triple

  • regrouper les producteurs pour les aider à établir de meilleures relations avec les éditeurs (voir Deuxième partie « analyse de la remontée de recettes dans le multimédia »).
  • donner un interlocuteur aux pouvoirs publics pour représenter les intérêts de la profession.
  • mieux faire connaître ce métier auprès du grand public et des milieux financiers.

B) Un métier pris en compte par les pouvoirs publics

Mais par ailleurs, ces forces et ces faiblesses des entreprises françaises, sont à comprendre comme les enjeux culturels, économiques et en termes d’emploi des jeux vidéo et sont donc autant de raisons d’agir de la part des pouvoirs publics.

Les jeux vidéo n’ont jamais trouvé leur place, en tant que tels, dans les différents dispositifs d’aide et de soutiens publics. Trop petits et trop récents pour être pris en compte dans la loi de 1985 qui a fixé pour longtemps le cadre juridique au sein duquel s’exercent les aides organisées par le ministère de la culture. Trop « futiles » pour bénéficier significativement des aides au développement des nouvelles technologies, ils sont pourtant assimilés aux logiciels professionnels quand il s’agit de la copie privée.

Il serait cependant injuste d’oublier que l’ANVAR, l’IFCIC, le CNC, ou certaines collectivités locales ont contribué dans les années précédentes au développement de certaines entreprises. Ou que l’effort public en matière de formation est à l’origine indirectement de la qualité et du nombre des équipes françaises. Cependant, à la différence de pays comme la Grande-Bretagne, le Japon ou le Canada, le secteur n’a jamais fait l’objet d’une politique d’ensemble.

Les directions qui pourraient être explorées, dans le cadre d’un programme pluri-annuel dont le bilan serait dressé au bout de trois à cinq ans par exemple, sont les suivantes :

  • Clarification du statut juridique des jeux vidéo, permettant notamment leur prise en compte par les sociétés d’auteurs, et l’extension du bénéfice de la rémunération pour copie privée. Ceci devrait être fait en prenant en compte les spécificités du secteur, notamment en élaborant des régimes différents suivant la nature des jeux.
  • Aide au financement des pré-productions : que ce soit par les SOFICA ou par un compte de soutien.
  • Fiscalité : examen de la possibilité d’étendre aux jeux le dispositif utilisé pour les vidéocassettes, soit un taux de TVA réduit et un prélèvement abondant un compte de soutien.
  • Intégration des investissements dans des jeux vidéo adaptés de films de cinéma dans les obligations de production des chaînes de télévision.
  • Coordination des filières de formation : ces filières, globalement de très bonne qualité, sont cependant en concurrence pour certaines qualifications (graphistes notamment) mais forment peu de spécialistes dans des domaine comme le game design ou la gestion de production.
  • Aide à la promotion du secteur : ce volet pouvant aller de l’aide à la défense du secteur auprès des instances européennes (où trois personnes s’occupent à plein temps des jeux vidéo) jusqu’à l’aide à la présentation du secteur de la création auprès du grand public comme des milieux financiers.

C) Des actions à long terme

Certains des problèmes essentiels auxquels la profession est confrontée ne pourront être résolus que par une action à moyen terme au sein même des marchés.

Ainsi, la part considérable de la valeur ajoutée retenue par la distribution finale est un problème considérable. Les taux pratiqués par les distributeurs finaux (Fnac, Carrefour-Promodès, etc.) sont près de deux fois plus élevés dans le multimédia que dans le disque ou la vidéo. Sur 100 euros dépensés par un consommateur en France, plus de la moitié va aux taxes et au magasin.




A télécharger

Version résumée (16 pages) sur le site du Ministère de la Culture

Version complète à télécharger sur notre site

Travail cité notamment par :

Le rapport FRIES (2004)

Le rapport SILICANI (2003)

Présentation des conclusions devant le CSPLA (octobre 2002)

Compte rendu

 

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