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Un des fortins les plus célébrés de notre ligne Magi-mots. Si cette réussite n'a pas la même envergure qu'informatique ou ordinateur, et moins d'invention que puce ou surtout tableur, elle est indéniable. Logiciel semble, selon "Les mots de la cyberculture" de Gabriel Otman, avoir été inventé par une commission officielle de terminologie au début des années soixante-dix. Peut-être un lecteur connaît-il l'auteur de cette proposition? En tout cas, c'est un des très rares mots de synthèse officielle à avoir connu la joie d'une vie naturelle. Mais son espace n'est pas très grand. Dans un contexte informatique, malgré quelques finasseries sporadiques, le mot programme tout court en est un parfait concurrent. Hors de ce contexte, logiciel peut certes prétendre tenir tout seul, alors qu'il faut alourdir programme d'un informatique pour qu'il veuille dire la même chose, mais justement programme a plusieurs sens, souvent flatteurs (programme d'un parti, programmes audiovisuels) et il a su engendrer programmateur, programmation, alors que logiciel est sans descendance. Les mots issus d'une commission partagent la stérilité avec certaines variétés d'ânes. Plus décevant encore, logiciel est loin d'avoir éradiqué ce software qu'il traduit ingénieusement, et le langage jeune et pressé lui préfère même soft : "ce soft est une daube" sera plus précisément compris d'un lycéen que "ce logiciel n'est pas de bonne qualité". Comme il s'agira probablement d'un jeu vidéo, on aggravera définitivement son cas en parlant de ludiciel, contraction officiellement recommandée de logiciel ludique. Seuls didacticiel (au départ logiciel éducatif, mais en pratique programme de présentation du mode d'emploi d'un soft) et progiciel (logiciel destiné aux entreprises, aux professionnels) terminent cahin-caha une carrière qui n'a pas été sans minutes de gloire. Mais ces termes, issus de notre concours Lépine lexical permanent, ont le charme du pays du Bi-Bop, du D2Mac, on n'ose plus dire du Concorde, de ce qui ne marche pas mais qui aurait dû marcher. Et pourtant dans logiciel, il y a logique et il y a ciel. L'inventeur du mot a sans doute procédé à une déconstruction du couple américain hardware /software. Hardware signifie quincaillerie et désignait par dérision familière le matériel informatique. Par opposition, le software désigna ce qui tournait dans ces machines, des œuvres de l'esprit (soft) domestiquant la matière (hard). Dans le miroir français, logiciel a été construit en appui sur son contraire, le matériel, dont il a emprunté la dernière syllabe. Rien de céleste, donc. Mais c'était compter sans les écrivains. Dans "Deux Ex", Norman Spinrad joue avec cette même opposition en l'appliquant aux rapports de l'âme et du corps dans le christianisme. L'âme n'est-elle pas le logiciel du corps ? La traductrice, Isabelle Delord-Philippe, propose alors le terme de carniciel pour désigner, par opposition, le corps humain. Comme on sait cloner le carniciel et dupliquer le logiciel, l'immortalité n'est pas loin. Et le ciel prend tout son sens. |
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