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L’étymologie est mal élevée. Elle dit souvent crûment ce que la bonne société s’évertue à cacher. Ainsi du travail moderne, présenté par toute la littérature économique et politique avec une débauche d’euphémismes comme un accomplissement délicieux. Les économistes parlent de « capital humain », les dirigeants d’entreprises de « ressources humaines », les politiques d’emploi. L’étymologie, elle, parle de torture. Travail vient de tripalium, mot latin désignant un sympathique instrument fait de trois pals en faisceau, dont l’ergonomie particulièrement étudiée pour une des interfaces du corps humain atteignait un indice de satisfaction record chez les bourreaux. On est loin des robots ? Pas du tout. Car le mot vient du tchèque robota qui signifie corvée, travail obligatoire. Dans l’ancien slave (slave venant, au fait, du latin slavus, esclave), le mot rabota signifie justement esclavage. On trouve la même racine dans l’allemand arbeit (travail) qui, du STO à « Arbeit macht frei », rappelle également de bons souvenirs. Le premier usage du mot robot pour désigner une machine revient à l’écrivain tchèque Karel Capek qui, en 1920, écrivit RUR, une pièce de théâtre qui évoquait une firme, la RUR, fabriquant des automates capables de remplacer les ouvriers. Ce mot de l’Est pourrait être un des symboles du vingtième siècle. Héritier d’une double tradition, celle de ces automates qui distrayaient les cours de l’ancien régime, et celle des corps à forme humaine mais inhumains (les statues antiques, le Golem, Frankenstein), le robot fut d’abord un mélange de cauchemar (dans RUR, ils se révoltent) et d’espérance (abolir la tyrannie du travail à la chaîne). Cette contradiction fut contournée, mais pas abolie, avec l’invention de l’ordinateur (1946). Isaac Asimov, autre écrivain de science-fiction, l’avait même précédée en inventant en 1942 le terme de robotique (robotics) qui tenait essentiellement en trois lois destinées à conjurer le mauvais usage des robots. En gros : « on dirait que les robots, ils vont pas embêter les humains ». Comme la science des ordinateurs s’appelait à l’époque la cybernétique, un robot à forme humaine animé par un ordinateur fut d’abord appelé un « cyborg », puis plus tard un androïde. Cette dernière appellation fit ensuite se lever quelques sourcils féministes, la racine grecque andros désignant l’homme au masculin, mais humanoïde était déjà pris pour désigner quelqu’un de plus poilu qu’un robot et gynoïde n’eut aucun succès. La laborieuse carrière des robots se poursuivit donc sous la forme d’androïdes (« Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » de Philip K Dick donna « Blade Runner » à l’écran) ou de machines oubliant de travailler sous une forme humaine. Les robots ménagers, les robots de l’industrie automobile restent ainsi fidèles à Karel Capek. Par une extension de sens assez osée, on parle aussi de robot sur Internet pour désigner un logiciel qui fonctionne « tout seul » par exemple pour déclencher de fausses pages vues sur un site ou pour documenter un moteur de recherche. Mais pour l’essentiel, le cyber prend ses distances avec la sueur, or le robot sent la sueur. Pas d’esclave, pas de travail, pas de torture au royaume des start-ups. |
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