|
|
& ou esperluette Sur les claviers de nos micros, & a longtemps partagé avec @, l’arobase, le destin étrange et finalement prestigieux du signe qui ne veut rien dire. Leur présence ici avait d’ailleurs la même origine : à la fin du siècle dernier, les machines à écrire furent inventées aux Etats-Unis essentiellement pour un usage commercial. Or dans le langage des affaires américains, si @ voulait dire « prix unitaire », & servait à lier deux noms propres, comme Smith & Wesson. Là s’arrête le parallèle, car si l’origine de l’arobase reste mystérieuse, celle de l’esperluette est bien établie. Il s’agit d’un des très nombreux legs culturels de l’époque mérovingienne, une ligature, c’est-à-dire l’union de deux lettres en un seul signe, ici les deux lettres de « et ». Preuve supplémentaire du destin commun de l’anglais et du français, cette ligature, au départ latine, passa dans les deux langues, signifiant aussi bien et que and. L’usage divergea quelque peu ensuite, les Anglo-saxons la réservant pratiquement à la liaison de deux noms propres, comme le recommandent encore les autorités linguistiques québécoises (www.olf.gouv.qc.ca) , alors que la typographie française, jusqu’au XIX° siècle, crut économiser de l’encre en l’utilisant systématiquement à la place de et, même pour lier des noms communs, avant de la délaisser. Le Grevisse explique que ce caractère se lisait « ète » et qu’il était placé à la fin de l’alphabet, de sorte que les enfants ânonnaient l’alphabet en terminant par « z et puis le ète » ce qui aurait donné ensuite « éperluette » (cité par Jacques André, Cahiers de l’IRISA, Rennes, décembre 1994). L’étymologie n’étant jamais une science exacte, le Dictionnaire Historique de la Langue Française va chercher une origine plus alambiquée, improbable décoction des mots latins perna (la jambe) et sphaerula (la boule). En anglais, & s’appelle l’ampersand , ce qui serait la déformation de « and , per se, and » (et, à lui tout seul, « et »). La carrière cyber du caractère, comme longtemps celle de l’arobase, fut de servir de signe bouche-trou : placé devant un nombre, il indique parfois qu’il est exprimé en base seize, très utilisée en informatique profonde. Mais plus souvent on utilise H, pour hexadécimal, ou le signe américain # (à ne pas confondre avec le dièse musical qui, lui, se tient bien droit) lequel veut dire simplement nombre ou numéro : #1, c’est le nambère ouane cher à Bérurier. Cette carrière, à vrai dire très modeste, a pris en France une autre envergure il y a un an, quand France Télécom a choisi judicieusement l’esperluette (la perluette se dit aussi) comme symbole. L’agence de publicité qui a conseillé ce choix a réussi à marier l’efficacité – un graphisme tout en courbes mémorisables -, la subtilité – le signe de la liaison pour une entreprise de communication -, la tradition – un héritage mérovingien – et la modernité, l’esperluette bénéficiant d’une parcelle du prestige « nouvelle économie » de l’arobase, mais en moins tape-à-l’œil. |
|
|
Copyright 2000-2005 CLVE - Tous droits réservés |