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La net-économie, comme tous les enfants, cherche son langage en commençant par manipuler des lettres. On sait qu'elle croit faire dire plein de choses, mais en fait toujours la même, à une seule lettre : E-n'importe quoi, I-quelque chose, parfois V-autre chose. Ces e sont pour électronique, ces i pour interactif, le v pour virtuel, mais il s'agit toujours au fond de vouloir signifier moderne, comme 2000, dans les années soixante, derrière pressing, optique ou charcuterie était là pour transformer une échoppe en antichambre des étoiles. Mais plus elliptique est l'usage récent de deux o accolés pour signer l'appartenance à la net-économie. Qui comprend que derrière Ooshop se cache le site de commerce électronique de Carrefour ? Qui a échappé aux publicités pour Kelkoo ? Qui sait que Woonoz ou I-doo sont en fait des sites français ? Qui connaît Toobo ? Le mouvement s'est amplifié au cours de l'hiver dernier, et s'il n'est ni purement français (Boo est scandinave, Xoom ou Kooby sont anglo-saxons) ni né de la dernière pluie (Yahoo ! et Wanadoo sont des institutions), il revêt ici et maintenant une ampleur étonnante. A l'origine, on trouve les agences de publicités. Elles courent plusieurs lièvres à la fois : elles cherchent des noms à consonance internationale (on ne sait jamais), qui évoquent spontanément Internet sans utiliser les appendices barbares et peu pérennes que sont www ou .fr, et enfin des marques distinctes de celle de la maison mère pour que le message publicitaire soit bien attribué au site web et non au produit principal. Carrefour devient donc Ooshop ou, plus significatif encore, I-France devient Idoo. Cette recherche collective, non-concertée, a jeté son dévolu sur oo probablement à cause du succès de Yahoo ! et, en France, de Wanadoo (qui s'appelait au départ "I want to do"). On peut exclure la piste des informaticiens, pour qui oo est l'abréviation d'orienté objet (ou d'object oriented), qui désigne certaines techniques de programmation. Cette idée de trouver une preuve calligraphique immédiate de l'appartenance au monde du web, qui préside aussi à l'usage de l'arobase @, est intéressante. On peut cependant lui prédire quelques mésaventures. La première est phonétique : en français, dans zoo comme dans alcool, le double o se lit o, et pas ou comme en anglais. A l'intérieur du nom ou à la fin, passe encore, l'acculturation américaine aidera à comprendre l'astuce de Toobo. Mais en début de nom, comme dans Ooshop, on peut penser que la clientèle de Carrefour n'y mettra pas du sien. A terme, ces sites risquent autant de faire étranger, partout, que de faire moderne. Mais surtout, s'agissant de marques pour l'implantation desquelles on investit des dizaines de millions de francs, elles risquent de vérifier l'adage selon lequel la mode, c'est ce qui se démode. Pour ceux qui ne sont pas convaincus, signalons alors que si, à la date de rédaction de ces lignes, choo était pris, hiboo, genoo et cailloo ne l'étaient pas. |
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