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Nerd ou geek ?
Chez nous, l’amour du cinéma s’incarne dans le cinéphile,
celui de la bonne chère forme le gourmet, l’université et la lecture
d’essais engendrent l’intellectuel. Beaucoup de passions, voire de
passe-temps, donnent un nom aux êtres humains qui s’y adonnent, jusqu’à
faire penser qu’ils en tirent leur définition. En français, les techniques
dites nouvelles, la micro-informatique, Internet ou les jeux vidéos n’ont
pas ce privilège. En américain au contraire, il y a pléthore de termes qui
remplissent cette fonction. Mais ils n’ont pas de traduction. Les deux mots
principaux sont nerd et geek. La différence entre ces deux termes est
parfois mal percue. Le dictionnaire Hachette-Oxford, tente de les rapprocher
brutalement : un « nerd » est un crétin, et un « geek » un taré. Belle
entrée en matière pour comprendre pourquoi ces deux mots sont utilisés pour
qualifier la population qui passe son temps sur un micro et le reste à
chercher sur son Palm Pilot le numéro de portable d’un copain qui connaît la
solution du dernier jeu vidéo. Pourtant, là-bas, ni nerd ni geek ne sont
totalement péjoratifs. On sent confusément que le nerd et le geek sont
l’avant-garde de l’humanité. Le nerd ne brille certes pas par sa
conversation, surtout avec le sexe opposé, mais il offre la certitude d’un
statut social, et la promesse d’une future fortune. Tout nerd qu’il est, il,
ou elle, trouvera à se marier. Le nerd est un parti sérieux. Le geek, lui,
est plus inquiétant. Il utilise les mêmes logiciels et passe au fond autant
de temps sur ses claviers. Mais le geek est à l’origine le fou du village,
celui qui tranche le cou des poulets avec ses dents. Il aura des idées plus
folles, ou plus perverses. En bande dessinée, Dilbert est un nerd, Gaston
Lagaffe serait aujourd’hui un geek. Mais attention, dans la Silicon Valley,
les Gaston font souvent plus de dollars que les Dilbert.
Pourtant, le français reste sourd au phénomène sociologique. On parlera plus
maladroitement des « accros à la micro », de « branchés micros », de «
web-génération ». On désigne de plus en plus les passionnés de jeux vidéo
par le terme de « gamers , mais ce n’est pas du français, et ça ne désigne
qu’un aspect de la chose. La génération d’avant parle encore de « doués en
informatique », forme désuète qui renvoie naïvement le micro aux maths ou
aux disciplines scolaires. « Fous du micro » tente le parallèle un peu benêt
avec fous du volants. Aucune de ces expressions ne fonctionne réellement. Si
l’on voulait un symbole du retard ou peut-être plus précisément du décalage
français, l’absence d’équivalents de nerd et de geek serait sans doute
l’exemple le plus adéquat.
Tendance
Nerd a une longueur d’avance sur geek pour passer tel quel en
français. Comme nous sommes en gros d’accord avec les Américains sur ce
qu’est un type ennuyeux, mais que par contre nous divergeons sur ce qu’est
un original, gageons que cet écart ira en s’accentuant.
Dico
Nerd dans le pages bleues du Hachette en 2001 et dans le
Petit Larrouse en 2002 ? |
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